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INTRODUCTION.

qui, après s’être ouverte sous de si heureux auspices, elle dégénéra si violemment ; de quelle manière elle changea la France en république, et comment sur les débris de celle-ci elle éleva l’empire. Ces diverses phases ont été presque obligées : tant les événements qui les ont produites ont eu une irrésistible puissance ! Il serait pourtant téméraire d’affirmer que la face des choses n’eût pas pu devenir différente ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que la révolution, avec les causes qui l’ont amenée et les passions qu’elle a employées ou soulevées, devait avoir cette marche et cette issue. Avant d’en suivre l’histoire, voyons ce qui a conduit à la convocation des états-généraux, qui ont conduit eux-mêmes à tout le reste. J’espère, en retraçant les préliminaires de la révolution, montrer qu’il n’a pas été plus possible de l’éviter que de la conduire.

La monarchie française n’avait eu, depuis son établissement, ni forme constante, ni droit public fixe et reconnu. Sous les premières races, la couronne était élective ; la nation était souveraine, et le roi n’était qu’un simple chef militaire, dépendant des délibérations communes sur les décisions à porter et les entreprises à faire. La nation élisait son chef, elle exerçait le pouvoir législatif dans les Champs-de-Mars, sous la présidence du roi, et le pouvoir judiciaire, dans les plaids, sous la direction d’un de ses officiers. Cette démocratie royale avait fait place, pendant le régime féodal, à une aristocratie royale. La souveraineté était remontée, les grands en avaient dépouillé le peuple, comme le prince devait bientôt en dépouiller les grands. À cette époque, le monarque était devenu héréditaire, non comme roi, mais comme possesseur de fief ; l’autorité législative appartenait aux grands, sur leurs vastes territoires, ou dans les parlements de barons, et l’autorité judiciaire aux vassaux dans les justices seigneuriales. Enfin la puissance s’était concentrée encore davantage, et de même qu’elle était allée du grand nombre au petit, elle était venue en dernier lieu du petit nombre à un seul. Pendant plusieurs siècles d’efforts consécutifs, les rois de France avaient battu en ruine l’édifice féodal, et s’étaient élevés sur ses débris. Ils avaient envahi les fiefs,