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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

La constitution de 1791 était faite d’après des principes qui convenaient aux idées et à la situation de la France. Cette constitution était l’œuvre de la classe moyenne, qui se trouvait alors la plus forte ; car, comme on le sait, la force qui domine s’empare toujours des institutions. Mais lorsqu’elle appartient à un seul, elle est despotisme ; à quelques-uns, elle est privilége ; à tous, elle est droit : ce dernier état est le terme de la société, comme il est son origine. La France y était enfin parvenue, après avoir passé par la féodalité, qui était l’institution aristocratique, et par le pouvoir absolu, qui était l’institution monarchique. L’égalité fut consacrée parmi les citoyens, et la délégation fut reconnue dans les pouvoirs : telles devaient être, sous le régime nouveau, la condition des hommes et la forme du gouvernement.

Dans cette constitution, le peuple était la source de tous les pouvoirs, mais il n’en exerçait aucun ; il n’avait que l’élection primaire, et ses magistrats étaient choisis par des hommes pris dans la nation éclairée. Celle-ci composait l’assemblée, les tribunaux, les administrations, les municipalités, les milices, et possédait ainsi toute la force et tous les pouvoirs de l’état. Elle était alors seule propre à les exercer, parce qu’elle avait seule les lumières qu’exige la conduite du gouvernement. Le peuple n’était point encore assez avancé pour entrer en partage du pouvoir : aussi n’est-ce que par accident et d’une manière passagère qu’il est tombé entre ses mains ; mais il recevait l’éducation civique, et s’exerçait au gouvernement dans les assemblées primaires, selon le véritable but de la société, qui n’est pas de donner ses avantages en patrimoine à une classe, mais de les y faire participer toutes lorsqu’elles sont capables de les acquérir. C’était là le principal caractère de la constitution de 1791 ; à mesure que quelqu’un devenait apte à posséder le droit, il y était admis ; elle élargissait ses cadres avec la civilisation, qui chaque jour appelle un plus grand nombre d’hommes à l’administration de l’état. C’est par là qu’elle avait établi la véritable égalité, dont le caractère réel est l’admissibilité, comme celui de l’inégalité est l’exclusion. En rendant le