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INTRODUCTION.

réputait hérétique, et la royauté factieuse. Louis XIV assujettit les grands en les appelant à la cour, où ils reçurent en plaisirs et en faveurs le prix de leur dépendance. Le parlement, qui jusque-là avait été l’instrument de la couronne, voulut en devenir le contre-poids, et le prince lui imposa avec hauteur une soumission et un silence de soixante années. Enfin la révocation de l’édit de Nantes fut le complément de cette œuvre de despotisme. Un gouvernement arbitraire, non-seulement ne veut pas qu’on lui résiste, mais il veut encore qu’on l’approuve et qu’on l’imite. Après avoir soumis les conduites, il persécute les consciences, car il faut qu’il agisse, et qu’il aille chercher les victimes lorsqu’elles ne se présentent pas. L’immense pouvoir de Louis XIV s’exerça au dedans contre les hérétiques, déborda au dehors contre l’Europe. L’oppression trouva des ambitieux qui la conseillèrent, des dragons qui la servirent, des succès qui l’encouragèrent ; les plaies de la France furent couvertes de lauriers, et ses gémissements furent étouffés par des chants de victoire. Mais à la fin, les hommes de génie moururent, les victoires cessèrent, l’industrie émigra, l’argent disparut, et l’on vit bien que le despotisme épuise ses moyens par ses succès, et dévore d’avance son propre avenir.

La mort de Louis XIV fut le signal de la réaction : il s’opéra un passage subit de l’intolérance à l’incrédulité, et de l’esprit d’obéissance à l’esprit de discussion. Pendant la régence, le tiers-état gagna en importance, par l’accroissement de ses richesses et de ses lumières, tout ce que la noblesse perdit en considération et le clergé en influence. Sous Louis XV, la cour poursuivit des guerres peu brillantes et très ruineuses ; elle engagea une lutte sourde avec l’opinion, avouée avec le parlement. L’anarchie se mit dans son sein, le gouvernement tomba entre les mains des maîtresses, le pouvoir fut en pleine décadence, et l’opposition fit chaque jour de nouveaux progrès.

Les parlements avaient changé de position et de système. La royauté les avait investis d’une puissance qu’ils tournèrent alors contre elle. Au moment où la ruine de l’aristocratie fut