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INTRODUCTION.

consommée par leurs efforts communs, ils se désunirent, comme tous les alliés après la victoire. La royauté aspira à briser un instrument qui devenait dangereux pour elle en cessant de lui être utile, et le parlement à dominer la royauté. Cette lutte, favorable au monarque sous Louis XIV, mêlée de revers et de succès sous Louis XV, ne se termina qu’à la révolution. De sa nature le parlement n’était appelé qu’à servir d’instrument. Comme l’exercice de sa prérogative et son ambition de corps le portaient à s’opposer aux forts et à seconder les faibles, il servit tour à tour la couronne contre l’aristocratie, et la nation contre la couronne. C’est ce qui le rendit si populaire sous Louis XV et Louis XVI, quoiqu’il n’attaquât la cour que par rivalité. L’opinion ne lui demandait pas compte de ses motifs ; elle applaudissait non son ambition, mais sa résistance ; elle le soutenait parce qu’elle était défendue par lui. Enhardi par ces encouragements, il était devenu formidable à l’autorité. Après avoir cassé le testament du roi le plus impérieux et le mieux obéi ; après s’être élevé contre la guerre de sept ans ; après avoir obtenu le contrôle des opérations financières et la destruction des jésuites, sa résistance devint si énergique et si fréquente, que la cour, le rencontrant partout, comprit qu’il fallait lui obéir ou le soumettre. Elle exécuta donc le plan de désorganisation proposé par le chancelier Maupeou. Cet homme hardi, qui avait offert de retirer, selon son expression, la couronne du greffe, remplaça ce parlement hostile par un parlement dévoué, et fit essuyer le même sort à toute la magistrature de France qui suivait l’exemple de celle de Paris.

Mais ce n’était plus le temps des coups d’état. L’arbitraire était tellement décrédité, que le roi en hasardait l’emploi avec défiance, et rencontrait même la désapprobation de sa cour. Il s’était formé une puissance nouvelle, celle de l’opinion, qui, sans être reconnue, n’en était pas moins influente, et dont les arrêts commençaient à devenir souverains. La nation, nulle jusque-là, reprenait peu à peu ses droits ; elle ne participait pas au pouvoir, mais elle agissait sur lui. Cette