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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

pereur. Elle considérait les électeurs comme ses prête-noms, et les émigrés comme ses instruments ; car le prince de Kaunitz reconnaissait pour légitime la ligue des souverains réunis pour la sûreté et l’honneur des couronnes. Les Girondins voulurent donc prévenir ce dangereux adversaire, pour ne pas lui donner le temps de se préparer. Ils exigèrent qu’il s’expliquât avant le 10 février, d’une manière claire et précise, sur ses véritables dispositions à l’égard de la France. Ils poursuivirent en même temps des ministres sur lesquels on ne pouvait pas compter en cas de guerre. L’incapacité de Delessart et les intrigues de Molleville prêtaient surtout aux attaques ; Narbonne était le seul qu’ils épargnassent. Ils furent secondés par les divisions du conseil, qui était moitié aristocrate par Bertrand de Molleville, Delessart, etc., et moitié constitutionnel par Narbonne, et le ministre de l’intérieur Cahier de Gerville. Des hommes aussi opposés d’intentions et de moyens ne pouvaient guère s’entendre ; Bertrand de Molleville eut de vives contestations avec Narbonne, qui voulait faire adopter à ses collègues une conduite franche, décidée, et donner l’assemblée pour point d’appui au trône. Narbonne succomba dans cette lutte, et son renvoi entraîna la désorganisation de ce ministère. Les Girondins accusèrent Bertrand de Molleville et Delessart : le premier eut l’adresse de se justifier ; mais le second fut traduit devant la haute cour d’Orléans.

Le roi, intimidé par le déchaînement de l’assemblée contre les membres de son conseil, et surtout par le décret d’accusation contre Delessart, n’eut pas d’autre ressource que de choisir ses nouveaux ministres dans le parti victorieux. Une alliance avec les dominateurs actuels de la révolution pouvait seule sauver la liberté et le trône. Elle rétablissait l’accord entre l’assemblée, le pouvoir et la municipalité ; et si cette union s’était maintenue, les Girondins auraient fait avec la cour ce qu’après la rupture ils ne crurent pouvoir faire que sans elle. Les membres du ministère furent Lacoste à la marine, Clavière aux finances, Duranthon à la justice, de Grave, bientôt remplacé par Servan, à la guerre, Dumouriez aux relations exté-