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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

cepté une telle mission ne pouvaient être que les chefs ou les instruments de la faction qui avait asservi l’assemblée nationale et le roi. Les troupes et les autorités civiles renouvelèrent ensuite le serment à la constitution, et Lafayette essaya d’agrandir le cercle de l’insurrection de l’armée contre l’insurrection populaire.

Peut-être dans ce moment le général Lafayette songea-t-il trop au passé, à la loi, aux serments communs, et pas assez à la position véritablement extraordinaire où se trouvait la France. Il ne vit que les plus chères espérances des amis de la liberté détruites, l’envahissement de l’état par la multitude, et le règne anarchique des Jacobins ; mais il ne vit pas la fatalité d’une situation qui rendait indispensable le triomphe de ces derniers venus de la révolution. Il n’était guère possible que la bourgeoisie, qui avait été assez forte pour abattre l’ancien régime et les classes privilégiées, mais qui s’était reposée après cette victoire, pût repousser l’émigration et l’Europe entière. Il fallait pour cela un nouvel ébranlement, une nouvelle croyance ; il fallait une classe nombreuse, ardente, non encore fatiguée, et qui se passionnât pour le 10 août comme la bourgeoisie s’était passionnée pour le 14 juillet. Lafayette ne pouvait pas s’associer avec elle ; il l’avait combattue, sous la constituante, au Champ-de-Mars, avant et après le 20 juin. Il ne pouvait pas continuer son ancien rôle, ni défendre l’existence d’un parti juste, mais condamné par les événements, sans compromettre le sort de son pays et les résultats d’une révolution à laquelle il était si sincèrement attaché. Sa résistance, en se prolongeant davantage, eût fait naître la guerre civile entre l’armée et le peuple, dans un moment où il n’était pas même sûr que la réunion de tous les efforts suffît contre la guerre étrangère.

On était au 19 août, et l’armée d’invasion, partie de Coblentz le 30 juillet, remontait la Moselle et s’avançait sur cette frontière. Les troupes étaient disposées, en considération du danger commun, à rentrer sous l’obéissance de l’assemblée ; Luckner, qui avait d’abord approuvé Lafayette, se rétracta