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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

geait et que soudoyait la commune. Ceux-ci, avec un fanatisme tranquille, prostituant au meurtre les saintes formes de la justice, tantôt juges, tantôt exécuteurs, semblaient moins exercer des vengeances que faire un métier ; ils massacraient sans emportement, sans remords, avec la conviction des fanatiques et l’obéissance des bourreaux. Si quelques circonstances extraordinaires venaient les émouvoir, et les rappeler à des sentiments d’homme, à la justice et à la miséricorde, ils se laissaient toucher un moment, et recommençaient de nouveau. C’est ainsi que furent sauvées quelques victimes ; mais il y en eut bien peu. L’assemblée voulut empêcher les massacres, et ne le put point ; le ministère était aussi impatient que l’assemblée ; la terrible commune seule pouvait tout et ordonnait tout ; le maire Pétion avait été annulé ; les soldats, gardiens des prisons, craignaient de résister aux meurtriers, et les laissaient faire ; la multitude paraissait complice ou indifférente ; le reste des citoyens n’osait pas même montrer sa consternation ; et l’on pourrait s’étonner qu’un crime si grand et si long ait été conçu, exécuté, souffert, si l’on ne savait pas tout ce que le fanatisme des partis fait commettre, et tout ce que la peur fait supporter. Mais le châtiment de cet énorme attentat finit par retomber sur la tête de ses auteurs. La plupart d’entre eux périrent au milieu de la tempête qu’ils avaient soulevée et par les moyens violents dont ils s’étaient servis. Il est rare que les hommes de parti n’éprouvent pas le sort qu’ils ont fait subir.

Le conseil exécutif, que dirigeait le général Servan pour les opérations militaires, faisait avancer les bataillons de nouvelle levée vers la frontière. Il avait voulu placer un général en chef habile sur le point menacé ; mais le choix était embarrassant. Parmi les généraux qui s’étaient déclarés en faveur des derniers événements politiques, Kellermann ne paraissait propre qu’à un commandement secondaire, et on se borna à le mettre à la place de l’incertain et incapable Luckner ; Custine était peu instruit dans son art, propre à un coup de main hardi, mais non à la conduite d’une grande armée sur laquelle allaient reposer les destinées de la France. Le même reproche d’infério-