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CONVENTION NATIONALE.

peu de précaution, Dumouriez se livra à l’exécution de son impraticable dessein. Il se trouvait dans une position véritablement difficile : ses soldats avaient pour lui beaucoup d’attachement, mais ils étaient aussi dévoués à leur patrie. Il fallait donner des places fortes dont il n’était pas le maître, et il était à croire que les généraux sous ses ordres feraient à son égard, par fidélité à la république, ou par ambition, ce qu’il avait fait lui-même à l’égard de Lafayette. Sa première tentative ne fut pas encourageante. Après s’être établi à Saint-Amand, il voulait s’emparer de Lille, de Condé, de Valenciennes ; mais il échoua dans cette entreprise. Ce mauvais succès lui donna de l’hésitation, et ne lui permit point de prendre l’initiative de l’attaque.

Il n’en fut pas de même de la convention ; elle agit avec une promptitude, une hardiesse, une fermeté, et surtout avec une précision, dans son but, qui devait la rendre victorieuse. Quand on sait ce qu’on veut, et qu’on le veut vite et bien, on l’emporte toujours ; c’est ce qui manquait à Dumouriez, ce qui arrêta son audace, et ébranla ses partisans. Dès que la convention fut instruite de ses projets, elle le manda à sa barre ; il refusa d’obéir, sans lever encore l’étendard de la révolte. La convention envoya aussitôt les quatre représentants Camus, Quinette, Lamarque, Bancal, et le ministre de la guerre Beurnonville, pour le traduire devant elle, ou l’arrêter au milieu de son armée. Dumouriez reçut les commissaires à la tête de son état-major ; ils lui présentèrent le décret de la convention ; il le lut, et le leur rendit, en disant que l’état de son armée ne lui permettait point de la quitter. Il offrit sa démission, et promit, dans un temps calme, de demander lui-même des juges, et de rendre compte de ses desseins et de sa conduite. Les commissaires l’engagèrent à se soumettre, en lui citant l’exemple des anciens généraux romains. « Nous nous méprenons toujours sur nos citations, répondit-il, et nous défigurons l’histoire romaine, en donnant pour excuse à nos crimes l’exemple de leurs vertus. Les Romains n’ont pas tué Tarquin ; les Romains avaient