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CONVENTION NATIONALE.

Il avait agi mollement dans cette journée, et plus tard il avait désapprouvé la condamnation des vingt-deux. On commençait à lui reprocher les désordres de sa vie, ses passions vénales, ses allées d’un parti à l’autre, son intempestive modération. Pour conjurer l’orage, il s’était retiré à Arcis-sur-Aube, son pays, et là il paraissait tout oublier dans le repos. Pendant son absence, la faction d’Hébert avait fait des progrès immenses, et les amis de Danton l’appelèrent en toute hâte. Il revint au commencement de frimaire (décembre). Aussitôt Philippeaux dénonça la manière dont la guerre de la Vendée était conduite ; le général Westermann, qui s’était extrêmement distingué pendant cette guerre, et qui venait d’être destitué par le comité de salut public, soutint Philippeaux, et Camille-Desmoulins publia les premières livraisons de son Vieux Cordelier. Ce brillant et fougueux jeune homme avait suivi tous les mouvements de la révolution, depuis le 14 juillet jusqu’au 31 mai, approuvant toutes ses exagérations et toutes ses mesures. Son âme était pourtant douce et tendre, quoique ses opinions eussent été violentes, et ses plaisanteries souvent cruelles. Il avait applaudi au régime révolutionnaire, parce qu’il le croyait indispensable pour fonder la république ; il avait coopéré à la ruine de la Gironde, parce qu’il redoutait les dissensions de la république. La république, voilà à quoi il avait sacrifié jusqu’à ses scrupules et jusqu’aux besoins de son cœur, la justice et l’humanité : il avait tout donné à son parti, croyant le donner à la république ; mais aujourd’hui il ne pouvait plus ni applaudir ni se taire. Sa verve, qu’il avait fait servir à la révolution, il la fit servir contre ceux qui la perdaient en l’ensanglantant. Dans son Vieux Cordelier, il parla de la liberté avec le sens profond de Machiavel, et des hommes avec l’esprit de Voltaire. Mais bientôt il souleva contre lui et les fanatiques et les dictateurs, en rappelant le gouvernement à la modération, à la miséricorde et à la justice.

Il fit un tableau frappant de la tyrannie présente sous le nom d’une tyrannie passée. Il emprunta ses exemples à Tacite. « À cette époque, dit-il, les propos devinrent des crimes