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CONVENTION NATIONALE.

exécrable à la vengeance du crime !... Mais mes amis diront de moi que j’ai été bon père, bon ami, bon citoyen ; ils ne m’oublieront pas. — Tu peux éviter... — J’aime mieux être guillotiné que d’être guillotineur. — Mais en ce cas il faut partir ! — » (Tournant alors sa bouche, et relevant sa lèvre avec dédain et colère :) « Partir !... Est-ce qu’on emporte sa patrie à la semelle de son soulier ? »

Il ne restait à Danton qu’une seule ressource, c’était d’essayer sa voix si connue et si puissante, de dénoncer Robespierre et les comités, et de soulever la convention contre leur tyrannie. Il en était vivement pressé ; mais il savait trop combien le renversement d’une domination établie est difficile ; il connaissait trop l’asservissement et l’épouvante de l’assemblée pour compter sur l’efficacité d’un pareil moyen. Il attendit donc, croyant toutefois, lui qui avait tant osé, que ses ennemis reculeraient devant une proscription comme la sienne. Le 10 germinal, on vint lui annoncer que son arrestation était débattue au comité de salut public, et on le pressa encore une fois de fuir. Il réfléchit un moment, et il répondit : Ils n’oseraient ! La nuit, sa maison fut investie, et il fut conduit au Luxembourg avec Camille-Desmoulins, Philippeaux, Lacroix, Westermann. En entrant il aborda cordialement les prisonniers qui se pressaient autour de lui. « Messieurs, leur dit-il, j’espérais dans peu vous faire sortir d’ici ; mais m’y voilà moi-même avec vous, et je ne sais pas maintenant comment cela finira. » Une heure après, il fut mis au secret, et on l’enferma dans le cachot qu’avait occupé Hébert, et que devait bientôt occuper Robespierre. Là, se livrant à ses réflexions et à ses regrets, il disait : « C’est à pareille époque que j’ai fait instituer le tribunal révolutionnaire ; j’en demande pardon à Dieu et aux hommes ; mais ce n’était pas pour qu’il fût le fléau de l’humanité. »

Son arrestation produisit une inquiétude sombre, une rumeur générale. Le lendemain, dans l’assemblée, à l’ouverture de la séance, on se parlait bas, on se demandait avec épouvante quel était le prétexte de ce nouveau coup d’état contre des