Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

mocratie. Le fanatisme ne peut pas aller plus loin. Les auteurs de ce système n’examinaient pas s’il était praticable ; ils le croyaient juste et naturel, et ayant la force en main, ils voulaient l’établir violemment. Il n’y eut pas un de ces mots qui ne servît à la condamnation d’un parti ou de quelques hommes. Les royalistes et les aristocrates furent poursuivis au nom de la liberté et de l’égalité ; les Girondins, au nom de l’indivisibilité ; Philippeaux, Camille-Desmoulins et les modérés, au nom du salut public ; Chaumette, Anacharsis Clootz, Gobet, Hébert, tout le parti anarchiste et athée, au nom de la vertu et de l’Être Suprême ; Chabot, Bazire, Fabre-d’Églantine, au nom de la probité ; Danton au nom de la vertu et de la modestie. Aux yeux des fanatiques, ces crimes moraux contribuèrent à leur perte autant que les conspirations qu’on leur reprochait.

Robespierre était le patron de cette secte, qui avait, dans le comité, un zélateur plus fanatique et plus désintéressé que lui : c’était Saint-Just, qu’on appelait l’Apocalyptique. Il avait un visage régulier, à grands traits, d’une expression forte et mélancolique ; un œil pénétrant et fixe ; des cheveux noirs, plats et longs. Ses manières étaient froides, quoique son âme fût ardente. Simple dans ses habitudes, austère, sentencieux, il marchait sans hésitation à l’accomplissement de son système. À peine âgé de vingt-cinq ans, il se montrait le plus hardi des décemvirs, parce qu’il était le plus convaincu d’entre eux. Passionné pour la république, il était infatigable dans les comités, intrépide dans ses missions aux armées, où il donnait l’exemple du courage, partageant les marches et les périls des soldats. Sa prédilection pour la multitude ne le portait pas à courtiser ses penchants, et, loin de prendre son costume et son langage comme Hébert, il voulait lui donner de l’aisance, du sérieux et de la dignité. Mais sa politique le rendait plus redoutable encore que ses croyances populaires. Il avait beaucoup d’audace, de sang-froid, d’à-propos et de fermeté. Peu capable de pitié, il rédigeait ses mesures de salut public en formules, et mettait de suite les formules à exécution. La vic-