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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

dit-il, vous n’êtes point dans des circonstances ordinaires ; vous êtes sur un volcan. Hier, j’étais tranquille, lorsque vous m’avez appelé pour me notifier le décret de translation, et me charger de l’exécuter. Aussitôt j’ai rassemblé mes camarades ; nous avons volé à votre secours. Eh bien ! aujourd’hui on m’abreuve de calomnies ! On parle de César, on parle de Cromwell, on parle de gouvernement militaire ! Si j’avais voulu opprimer la liberté de mon pays, je ne me serais point rendu aux ordres que vous m’avez donnés ; je n’aurais pas eu besoin de recevoir cette autorité de vos mains. Je vous le jure, représentants du peuple, la patrie n’a pas de plus zélé défenseur que moi ; mais c’est sur vous seuls que repose son salut. Il n’y a plus de gouvernement : quatre des directeurs ont donné leur démission ; le cinquième (Moulins) a été mis en surveillance pour sa sûreté ; le conseil des cinq-cents est divisé ; il ne reste que le conseil des anciens. Qu’il prenne des mesures ; qu’il parle ; me voilà pour exécuter. Sauvons la liberté, sauvons l’égalité. » Un membre républicain, Linglet, se leva alors et lui dit « Général, nous applaudissons à ce que vous dites : jurez donc avec nous obéissance à la constitution de l’an III, qui peut seule maintenir la république. » C’en était fait de lui, si cette proposition eût été accueillie comme aux cinq-cents. Elle surprit le conseil, et Bonaparte fut un instant déconcerté. Mais il reprit bientôt : « La constitution de l’an III, vous n’en avez plus. Vous l’avez violée au 18 fructidor ; vous l’avez violée au 22 floréal ; vous l’avez violée au 30 prairial. La constitution ! elle est invoquée par toutes les factions, et elle a été violée par toutes ; elle ne peut être pour nous un moyen de salut, parce qu’elle n’obtient plus le respect de personne ; la constitution violée, il faut un autre pacte, de nouvelles garanties. » Le conseil applaudit aux reproches que lui adressait Bonaparte, et il se leva en signe d’approbation.

Bonaparte, trompé par le succès facile de sa démarche auprès des anciens, croit que sa présence seule apaisera le conseil orageux des cinq-cents. Il s’y rend à la tête de quelques