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DIRECTOIRE EXÉCUTIF.

Le conseil, depuis le départ de Lucien, était en proie à une anxiété extrême et à la plus grande irrésolution. Quelques membres proposaient de sortir en masse et d’aller à Paris chercher abri au milieu du peuple. D’autres voulaient que la représentation nationale n’abandonnât point son poste et qu’elle y bravât les outrages de la force. Sur ces entrefaites, une troupe de grenadiers entre dans la salle, y pénètre lentement, et l’officier qui la commandait notifie au conseil l’ordre de se disperser. Le député Prudhon rappelle l’officier et ses soldats au respect des élus du peuple ; le général Jourdan leur fait envisager aussi l’énormité d’un pareil attentat. Cette troupe reste un moment indécise, mais un renfort entre en colonne serrée. Le général Leclerc s’écrie : « Au nom du général Bonaparte, le corps législatif est dissous ; que les bons citoyens se retirent. Grenadiers, en avant ! » Des cris d’indignation s’élèvent de tous les bancs de la salle, mais ils sont étouffés par le bruit des tambours. Les grenadiers s’avancent dans toute la largeur de l’Orangerie, avec lenteur et en présentant la baïonnette. Ils chassent ainsi devant eux les législateurs, qui font entendre encore en sortant le cri de vive la république ! À cinq heures et demie, le 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799), il n’y eut plus de représentation.

Ainsi fut consommée cette violation de la loi, ce coup d’état contre la liberté. La force commença sa domination. Le 18 brumaire fut le 31 mai de l’armée contre la représentation, si ce n’est qu’il ne fut pas dirigé contre un parti, mais contre la puissance populaire. Mais il est juste pourtant de distinguer le 18 brumaire de ses suites. On pouvait croire alors que l’armée n’était qu’un auxiliaire de la révolution, comme au 13 vendémiaire, comme au 18 fructidor, et que ce changement indispensable ne tournerait pas au profit d’un homme, d’un homme seul, qui changerait bientôt la France en un régiment, et qui ne ferait entendre dans le monde, jusque-là agité par une si grande commotion morale, que les pas de son armée et le bruit de sa volonté.