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EMPIRE.

ont été remuées de dessus leurs vieux fondements. Les peuples se sont mêlés par de fréquentes communications ; des ponts jetés sur des fleuves limitrophes, de grandes routes pratiquées au milieu des Alpes, des Apennins, des Pyrénées, ont rapproché les territoires ; et Napoléon a fait pour le matériel des états, ce que la révolution a fait pour l’esprit des hommes. Le blocus a complété l’impulsion de la conquête ; il a perfectionné l’industrie continentale, afin de suppléer à celle de l’Angleterre, et il a remplacé le commerce colonial par le produit des manufactures. C’est ainsi que Napoléon, en agitant les peuples, a contribué à leur civilisation. Il a été contre-révolutionnaire par son despotisme à l’égard de la France : mais son esprit conquérant l’a rendu rénovateur vis-à-vis de l’Europe, dans laquelle plusieurs nations, assoupies avant sa venue, vivront de la vie qu’il leur a apportée. Mais en cela Napoléon n’a obéi qu’à sa nature. Né de la guerre, la guerre a été son penchant, son plaisir ; la domination, son but ; il lui fallait maîtriser le monde, et les circonstances le lui ont mis dans la main, afin qu’il s’en aidât à exister.

Napoléon a présenté pour la France, comme Cromwell le fit un moment pour l’Angleterre, le gouvernement de l’armée, qui s’établit toujours lorsqu’une révolution est combattue : elle change alors de nature peu à peu, et devient militaire de civile qu’elle était d’abord. Dans la Grande-Bretagne la guerre intérieure n’étant point compliquée de guerre étrangère, à cause de la situation géographique du pays qui l’isolait des autres états, dès que les ennemis de la réforme eurent été vaincus, l’armée passa du champ de bataille au gouvernement. Son intervention étant précoce, Cromwell, son général, trouva encore les partis dans toute la fougue de leurs passions, dans tout le fanatisme de leur croyance, et il dirigea uniquement contre eux son administration militaire. La révolution française, opérée sur le continent, vit les peuples disposés à la liberté, et les souverains ligués par la crainte de l’affranchissement des peuples. Elle eut non seulement des ennemis intérieurs, mais encore des ennemis étrangers à combattre, et