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RÈGNE DE LOUIS XVIII.

du vainqueur, et, dès les premiers jours, chacun put apprécier les maux affreux que cette seconde invasion attirait sur la France. Les Prussiens surtout regardaient d’un air farouche les monuments, trophées de nos victoires ; il fallut la noble résistance de Louis XVIII pour préserver le pont d’Iéna de leur vengeance brutale : insultant au deuil et au ressentiment public, un insolent ordre du jour du général prussien Muffling, gouverneur de Paris, ordonna aux sentinelles de faire feu sur quiconque les braverait de la parole, du geste ou du regard. M. Decazes, préfet de police, fit déchirer l’ordre barbare, et cet acte de courage devint en partie la source de sa haute fortune. Au mépris de la capitulation, nos musées furent dévastés ; chaque état de l’Europe, chaque ville réclama les tableaux et les statues dont nos triomphes les avaient dépouillés, et Paris vit avec stupeur une soldatesque sauvage saisir tant de chefs-d’œuvre payés de notre sang : un jeune poëte, qui s’annonçait avec éclat, fut alors l’éloquent interprète des douleurs de la France[1].

L’héroïque armée de la Loire était, pour les étrangers, un objet continuel de terreur ; ils exigèrent son licenciement immédiat. Elle abaissa ses aigles et déposa les armes à la voix du maréchal Macdonald, et aucun désordre n’accompagna son retour dans ses foyers. Gouvion Saint-Cyr, ministre de la guerre, songea dès lors à créer une armée nouvelle, et l’organisation de la garde royale remonte à cette époque.

La composition des chambres subit d’importantes modifications : plusieurs pairs de la première restauration, qui avaient siégé pendant les cent jours, furent éliminés ; le roi en nomma quatre-vingt-douze nouveaux, et rendit, le 20 août 1815, la pairie héréditaire. Les élections des députés se firent d’après d’anciennes listes électorales complétées au choix des préfets : un grand nombre d’anciens chevaliers de Saint-Louis furent arbitrairement désignés pour électeurs, et transmirent à la chambre nouvelle l’esprit de réaction aveugle et violente dont

  1. Casimir Delavigne, 2e Messénienne.