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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

plus rien entendre lorsque quelques-uns des leurs vinrent annoncer la charge faite aux Tuileries et la mort de leurs camarades. Ils saisirent leurs armes, brisèrent les grilles, se rangèrent en bataille à l’entrée de la caserne, en face des dragons, et leur crièrent : Qui vive ? — Royal-Allemand. — Êtes-vous pour le tiers-état ? — Nous sommes pour ceux qui nous donnent des ordres. — Alors les gardes-françaises firent sur eux une décharge qui leur tua deux hommes, leur en blessa trois, et les mit en fuite. Elles s’avancèrent ensuite au pas de charge et la baïonnette en avant jusqu’à la place Louis XV, se placèrent entre les Tuileries et les Champs-Elysées, le peuple et les troupes, et gardèrent ce poste pendant toute la nuit. Les soldats du Champ-de-Mars reçurent aussitôt l’ordre de s’avancer. Lorsqu’ils furent arrivés dans les Champs-Elysées, les gardes-françaises les reçurent à coups de fusil. On voulut les faire battre, mais ils refusèrent : les Petits-Suisses furent les premiers à donner cet exemple, que les autres régiments suivirent. Les officiers désespérés ordonnèrent la retraite ; les troupes rétrogradèrent jusqu’à la grille de Chaillot, d’où elles se rendirent bientôt dans le Champ-de-Mars. La défection des gardes-françaises, et le refus que manifestèrent les troupes, même étrangères, de marcher sur la capitale, firent échouer les projets de la cour.

Pendant cette soirée, le peuple s’était transporté à l’Hôtel-de-Ville, et avait demandé qu’on sonnât le tocsin, que les districts fussent réunis et les citoyens armés. Quelques électeurs s’assemblèrent à l’Hôtel-de-Ville, et ils prirent l’autorité en main. Ils rendirent, pendant ces jours d’insurrection, les plus grands services à leurs concitoyens et à la cause de la liberté par leur courage, leur prudence et leur activité ; mais, dans la première confusion du soulèvement, il ne leur fut guère possible d’être écoutés. Le tumulte était à son comble, chacun ne recevait d’ordre que de sa passion. À côté des citoyens bien intentionnés, étaient des hommes suspects qui ne cherchaient dans l’insurrection qu’un moyen de désordre et de pillage. Des troupes d’ouvriers, employés par le gouverne-