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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

officiers et les soldats jurèrent tous de ne pas faire usage de leurs armes s’ils n’étaient point attaqués. Thuriot monta ensuite sur les tours ; de là il aperçut une multitude immense qui accourait de toutes parts, et le faubourg Saint-Antoine qui s’avançait en masse. Déjà au dehors on était inquiet de ne pas le voir revenir, et on le demandait à grands cris. Pour rassurer le peuple, il se montra sur le rebord de la forteresse, et fut salué par des applaudissements qui partirent du jardin de l’Arsenal. Il descendit, rejoignit les siens, leur fit part du résultat de sa mission, et se rendit ensuite au comité.

Mais la multitude impatiente demandait la reddition de la forteresse. De temps en temps on entendait s’élever du milieu d’elle ces paroles : Nous voulons la Bastille ! nous voulons la Bastille ! Plus résolus que les autres, deux hommes sortirent tout à coup de la foule, s’élancèrent sur un corps-de-garde, et frappèrent à coups de hache les chaînes du grand pont. Les soldats leur crièrent de se retirer, en les menaçant de faire feu ; mais ils continuèrent à frapper, et eurent bientôt brisé les chaînes, abaissé le pont, sur lequel ils se précipitèrent avec la foule. Ils avancèrent vers le second pont pour l’abattre de même. La garnison fit alors une décharge de mousqueterie qui les dispersa. Ils n’en revinrent pas moins à l’attaque, et pendant plusieurs heures tous leurs efforts se dirigèrent contre le second pont, dont l’approche était défendue par le feu continuel de la place. Le peuple, furieux de cette résistance opiniâtre, essaya de briser les portes à coups de hache, et de mettre le feu au corps-de-garde ; mais la garnison fit une décharge à mitraille, qui fut meurtrière pour les assiégeants, et qui leur tua ou blessa beaucoup du monde. Ils n’en devinrent que plus ardents ; et, secondés par l’audace et par la constance des braves Élie et Hulin, qui étaient à leur tête, ils continuèrent le siége avec acharnement.

Le comité de l’Hôtel-de-Ville était dans la plus grande anxiété. Le siége de la Bastille lui paraissait une entreprise téméraire. Il recevait coup sur coup la nouvelle des désastres survenus au pied de la forteresse. Il était entre le dan-