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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

ger des troupes, si elles étaient victorieuses, et celui de la multitude, qui lui demandait des munitions pour continuer le siège. Comme il ne pouvait pas en donner parce qu’il en manquait, on criait à la trahison. Il avait envoyé deux députations pour suspendre les hostilités et inviter le gouverneur à confier la garde de la place à des citoyens ; mais au milieu du tumulte, des cris, de la décharge de la mousqueterie, elles n’avaient pu se faire entendre. Il en envoya une troisième avec un tambour et un drapeau pour être plus facilement reconnue, mais elle ne fut pas plus heureuse : des deux côtés on ne voulut rien entendre. Malgré ses tentatives et son activité, l’assemblée de l’Hôtel-de-Ville était exposée aux soupçons populaires. Le prévôt des marchands excitait surtout la plus grande défiance. « Il nous a, disait l’un, déjà donné plusieurs fois le change dans cette journée. — Il parle, disait un autre, d’ouvrir une tranchée, et il ne cherche qu’à gagner du temps pour nous faire perdre le nôtre. — Camarades, s’écria alors un vieillard, que faisons-nous avec ces traîtres ? marchez, suivez-moi ; sous deux heures la Bastille sera prise. »

Il y avait plus de quatre heures qu’elle était assiégée, lorsque les gardes-françaises survinrent avec du canon. Leur arrivée fit changer le combat de face. La garnison elle-même pressa le gouverneur de se rendre. Le malheureux Delaunay, craignant le sort qui l’attendait, voulut faire sauter la forteresse, et s’ensevelir sous ses débris et sous ceux du faubourg. Il s’avança en désespéré, avec une mèche allumée à la main, vers les poudres. La garnison l’arrêta elle-même, arbora pavillon blanc sur la plate-forme, et renversa ses fusils, canons en bas, en signe de paix. Mais les assaillants combattaient et s’avançaient toujours en criant : Abaissez les ponts ! À travers les créneaux un officier suisse demanda à capituler et à sortir avec les honneurs de la guerre. « Non, non ! » s’écria la foule. — Le même officier proposa de mettre bas les armes si on leur promettait la vie sauve. « Abaissez le pont, lui répondirent les plus avancés des assaillants, il ne vous arrivera rien. » Sur cette assurance, ils ouvrirent la porte, abais-