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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

sèrent le pont, et les assiégeants se précipitèrent dans la Bastille. Ceux qui étaient à la tête de la multitude voulurent sauver de sa vengeance le gouverneur, les Suisses et les invalides ; mais elle criait : Livrez-nous-les, livrez-nous-les ; ils ont fait feu sur leurs concitoyens, ils méritent d’être pendus. Le gouverneur, quelques Suisses et quelques invalides furent arrachés à la protection de leurs défenseurs, et mis à mort par la foule implacable.

Le comité permanent ignorait l’issue du combat. La salle des séances était encombrée d’une multitude furieuse qui menaçait le prévôt des marchands et les électeurs. Flesselles commençait à être inquiet de sa position : il était pâle, troublé ; en butte aux reproches et aux plus violentes menaces, on l’avait forcé de se rendre de la salle du comité dans la salle de l’assemblée générale, où était réunie une immense quantité de citoyens. « Qu’il vienne, qu’il nous suive ! avait-on crié de toutes parts. — C’en est trop, répondit Flesselles, marchons puisqu’ils le veulent ; allons où je suis attendu. » Mais à peine était-il arrivé dans la grande salle, que l’attention de la multitude fut détournée par des cris qui s’élevèrent de la place de Grève ; on entendit : Victoire ! victoire ! liberté ! C’étaient les vainqueurs de la Bastille dont on annonçait l’arrivée. Ils entrèrent bientôt eux-mêmes dans la salle, en offrant la pompe la plus populaire et la plus effrayante. Ceux qui s’étaient le plus signalés, étaient portés en triomphe et couronnés de lauriers. Ils étaient escortés de plus de quinze cents hommes, les yeux ardents, les cheveux en désordre, ayant toute sorte d’armes, se pressant les uns les autres, et faisant craquer les boiseries sous leurs pas. L’un portait les clefs et le drapeau de la Bastille, l’autre le règlement pendu à la baïonnette de son fusil ; un troisième, chose horrible ! levait d’une main sanglante la boucle du col du gouverneur. Ce fut dans cet appareil que le cortége des vainqueurs de la Bastille, suivi d’une foule immense qui inondait la place et les quais, entra dans la salle de l’Hôtel-de-Ville pour apprendre au comité son triomphe, et décider du sort des prisonniers qui