Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

vinrent annoncer à l’assemblée la prise de la Bastille, la mort de Delaunay et celle de Flesselles. On voulait envoyer une troisième députation au roi, et demander de nouveau l’éloignement des troupes. « Non, dit Clermont-Tonnerre, laissons-leur la nuit pour conseil ; il faut que les rois, ainsi que les autres hommes, achètent l’expérience. » C’est dans cet état que l’assemblée passa la nuit. Le matin, une nouvelle députation fut nommée pour faire envisager à Louis XVI les calamités qui suivraient un plus long refus. C’est alors que Mirabeau, arrêtant les députés sur le point de partir, s’écria : « Dites-lui bien ! dites-lui que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations, et leurs présents ; dites-lui que, toute la nuit, ces satellites étrangers, gorgés d’or et de vin, ont prédit dans leurs chants impies l’asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l’assemblée nationale ; dites-lui que, dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut l’avant-scène de la Saint-Barthélémy ! dites-lui que ce Henri, dont l’univers connaît la mémoire, celui de ses aïeux qu’il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris révolté, qu’il assiégeait en personne, et que ses conseillers féroces font rebrousser les farines que le commerce apporte dans Paris fidèle et affamé. »

Mais, au même instant, le roi venait se rendre au milieu de l’assemblée. Le duc de Liancourt, profitant de l’accès que lui donnait auprès de sa personne la charge de grand-maître de la garde-robe, lui avait appris, pendant la nuit, la défection des gardes-françaises, l’attaque et la prise de la Bastille. À ces nouvelles, que ses conseillers lui avaient laissé ignorer : C’est une révolte ? dit le monarque étonné. — Non, sire, c’est une révolution. Cet excellent citoyen lui avait représenté les périls auxquels l’exposaient les projets de sa cour, les craintes, l’exaspération du peuple, les mauvaises dispositions des troupes, et il l’avait décidé à se présenter à l’assemblée pour la rassu-