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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

Ministre de la nation, disgracié pour elle, rappelé à cause d’elle, il recueillit sur sa route, de Bâle à Paris, les témoignages de la reconnaissance et de l’ivresse publiques. Son entrée dans Paris fut un jour de fête. Mais ce jour, qui fut pour lui le comble de la popularité, en devint aussi le terme. La multitude, toujours furieuse contre ceux qui avaient trempé dans les projets du 14 juillet, avait fait périr, avec un acharnement que rien n’avait pu fléchir, Foulon, ministre désigné, et son neveu Berthier. Indigné de ces exécutions, craignant que d’autres n’en devinssent les victimes, et voulant surtout sauver le baron de Besenval, commandant de l’armée de Paris sous le maréchal de Broglie, et qui était retenu prisonnier, Necker demanda une amnistie générale et l’obtint de l’assemblée des électeurs. Cette démarche était imprudente dans ce moment de défiance et d’exaltation ; Necker ne connaissait pas le peuple ; il ne savait point avec quelle facilité il soupçonne ses chefs et brise ses idoles. Celui-ci crut qu’on voulait soustraire ses ennemis aux peines qu’ils avaient encourues ; les districts s’assemblèrent, l’illégalité de l’amnistie, prononcée par une assemblée sans mission, fut vivement attaquée, et les électeurs eux-mêmes la révoquèrent. Sans doute il fallait conseiller le calme au peuple et le rappeler à la miséricorde ; mais le meilleur moyen était de demander, au lieu de l’élargissement des accusés, un tribunal qui les enlevât à la juridiction meurtrière de la multitude. Dans certains cas, ce qui est le plus humain n’est pas ce qui le paraît le plus. Necker, sans rien obtenir, déchaîna le peuple contre lui, et les districts contre les électeurs ; il commença dès lors à lutter avec la révolution, dont il croyait pouvoir se rendre maître, parce qu’il en avait été un instant le héros. Mais un homme est bien peu de chose pendant une révolution qui remue les masses ; le mouvement l’entraîne ou l’abandonne ; il faut qu’il précède ou qu’il succombe. Dans aucun temps on n’aperçoit plus clairement la subordination des hommes aux choses : les révolutions emploient beaucoup de chefs, et lorsqu’elles se donnent, elles ne se donnent qu’à un seul.