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rapport entre l’utilité et la justice

blessure faite à la société comme si elle était personnellement atteinte, et ne ressent pas une blessure personnelle, quoique douloureuse, à moins que la société n’ait avec elle intérêt à la punir.

Ce n’est pas une objection contre cette théorie que de dire que, lorsque notre sentiment de la justice est outragé, nous ne pensons pas à la société, à un intérêt collectif, mais seulement à un cas individuel. Il est assez ordinaire en effet, quoique regrettable, d’éprouver du ressentiment simplement parce que nous avons souffert. Mais une personne dont le ressentiment est vraiment un sentiment moral. – c’est-à-dire qui cherche si un acte est blâmable avant de se permettre d’en concevoir du ressentiment, – si elle ne se dit pas expressément qu’elle agit en vue de l’intérêt de la société, sent pourtant qu’elle agit d’après une règle dont les autres bénéficient aussi bien qu’elle. Si elle ne sent pas ceci, si elle ne considère l’acte que comme l’affectant individuellement, elle n’est pas juste à bon escient, elle ne s’inquiète pas de la justice de ses actes. Les moralistes anti-utilitaristes l’admettent eux-mêmes. Lorsque Kant (comme je l’ai déjà dit) proposait comme principe fondamental de la morale : « Agis de façon que ta règle de conduite puisse être adoptée