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Page:Mille - Anthologie des humoristes français contemporains, 1920.djvu/150

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ANTHOLOGIE DES HUMORISTES

— Si vous vouliez me promettre de ne pas parler ?

— Pour ça, colonel, je vous le promets ; quand bien même vous le permettriez, je n’ouvrirais pas la bouche devant ces museaux-là.

— Me jurez-vous ?…

— Si je dis un mot, je veux bien cracher ma langue à vingt-cinq pieds au-dessus du niveau de la mer.

— J’aime mieux votre parole d’honneur.

— Vous l’avez, colonel, vous l’avez. »

Le jour du dîner venu, le capitaine, en grande tenue, se rend chez le colonel et salue tout le monde sans proférer une parole.

On s’habitue à tout. Bientôt personne ne fit plus attention au mutisme du capitaine, qui, du reste, mangeait comme un ogre, pour rendre son silence plus facile.

On était à table depuis trois heures. Le dessert allait succéder au troisième service. Le capitaine mangeait une bécasse rôtie. Le colonel s’applaudissait de n’avoir pas humilié son vieux frère d’armes.

Tout à coup un effroyable cri sortit du sein du capitaine.

Un plomb de chasse enfoui dans la chair de l’oiseau lui a brisé une molaire.

« S… n… de millions de diables ! s’écrie le grognard en montrant d’une main le plomb meurtrier, de l’autre la tête de la bécasse, voilà une sacrée drôlesse qui n’est pas morte de la rougeole ! »

(Le 101e Régiment ; Calmann-Lévy édit.)