Page:Milliet - Une famile de républicains fouriéristes, 1915.djvu/35

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A LA MÈRE DE MON ENFANT

Mère, petite mère!... oh, comme à ton oreille
Ce mot harmonieux paraîtra bien plus doux.
Lorsqu'il s'échaipera de la bouche vermeille
De ton petit Fernand, assis sur tes genoux.

[...]
Mais dans ce livre blanc toi seule encor sais lire ;
Tu lis dans son regard, tu lis dans son sourire,
O mère, ainsi que Dieu lit dans le fond du cœur.

Oh, quelle poésie et pure et sans mélange
Doit rayonner pour toi sur ce visage d'ange
Qui pour les autres yeux n'exprime rien encor !
Et dans les sons confus de sa voix enfantine.
Langage bégayé que toi seule devines.
Quelle douce harmonie et quel céleste accord !

Dis-moi ce que tout bas son haleine murmure,
Lorsque sur tes genoux tu berces son sommeil ;
Sans doute, quand vers lui tu penches ta figure,
Ton oreille recueille un son qui vient du ciel.

Dis-moi ce que son œil, miroir de sa jeune àme,
Reflète de divin, de pur et d'enivrant ;
Dis-moi ce qu'en ton cœur et de mère et de femme
Verse de volupté ce sourire d'enfant.

Oh, dis-moi tout cela, je saurai te comprendre,
Dis-moi tout ton bonheur, je t'en prie à genoux,
Car je te porte envie et, si j'étais moins tendre,
Et si je t'aimais moins, j'en deviendrais jaloux.

Pontivy, octobre 1840.


Ma sœur Alix naquit en 1842. Elle était toute fluette, et l’ordonnance de M. Milliet, un colosse, la portait à bras tendu dans le creux de sa main. M. Milliet, atteint d’une maladie du larynx, qui l’empêchait de faire entendre les commandements militaires, se décida un peu étourdiment à donner sa démission. Les connaissances spéciales qu’il possédait auraient pu lui procurer, dans les haras, une place qui lui eût permis d’attendre sa retraite. Il préféra s’installer au Mans. C’est là que, le 6 mars 1844, Jean-Paul vint au monde. 3

J’étais un gros blondin paisible, facile à élever, comme tous les enfants bien portants. On me confia aux soins affectueux d’une jolie et excellente petite bonne de quinze ans, Emilie, que nous appelions Méliotte. Je ne crois pas que celle-là ait oublié une seule fois sa tâche de gardienne, même lorsque, à la promenade, elle rencontrait — oh, bien par hasard ! — un beau gars de vingt ans, Charles Delaporte, habile ouvrier mécanicien, qu’elle ne tarda pas à épouser. J’ai conservé un vague mais charmant souvenir de cette idylle, à laquelle j’assistais sans la comprendre. En vieillissant, j’ai oublié bien des choses intéressantes et utiles, qui m’avaient cependant coûté de longs efforts pour les apprendre, mais je me souviens encore des bizarres chansons dont Méliotte nous berçait le soir. Comme beaucoup de musiciens, elle n’attachait aucune importance aux paroles et les estropiait si bien, qu’elles finissaient par n’avoir plus aucun sens. Mais ce qui nous charmait le plus, c’étaient les contes de fées, de géants ou de brigands qui frappent si vivement, trop vivement peut-être, les jeunes imaginations. Méliotte avait une histoire