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TALITA CUMI

Je te connais déjà depuis quelque dix ans, sur la terre suspendue dans le silence,
Enfant du destin ; et c’est ta pauvre image qui toujours m’apparaît la première
Dans la lucidité de mes réveils du déclin de la nuit,
Quand, suivant en esprit le Cosmos dans son vol muet,
Tout à coup je sens l’univers s’engouffrer en moi comme aspiré par le vide de tous ces jours.
Je suis alors comme une chose en feu sur le fleuve dans la nuit d’été
Et la clef de soleil est sous ma main, qui ouvre les Réels miroitants d’un brouillard de vie.
Et certe, un seul mot, et, dans ce pays vrai où j’ai maint serviteur éblouissant
M’apparaîtraient des formes tout autres que la tienne, caillou ramassé ici pour le souvenir.
Mais ne t’ai-je pas aimé d’humilité dans cette toute petite succession de jours ?
Je partirai bientôt. Ô moitié de cœur, moitié de cœur jetée
Dans la boue et le froid et la pluie et la nuit de la ville !
Ô mon apprivoisé menacé par l’hiver !
Écoute-moi. Ouvre tout grand ce quelque chose en toi que tu ne connais pas,
Et tâche, quoi qu’il advienne, tâche de retenir en ta minuscule mémoire