Page:Milosz - Poèmes, 1929.djvu/86

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Ce conseil d’un qui a mûri avec l’ortie dans le long et torride été de l’amertume :
Travaille !
Ne tente pas le roi terrible de la vie, le dieu dans le mouvement
Impitoyable des routes du monde, l’idole dans le chariot aux roues broyeuses.
Travaille, enfant ! Car tu es condamnée, frêle, à vivre longtemps
Et je ne voudrais pas m’enfuir de ces assourdissantes galères
Avec la pauvre image de ce que tu seras un jour :
Une petite enfant tout à coup devenue petite vieille,
Avec d’amers cheveux blancs sous le châle, je ne sais dans quel aigre et noir faubourg
Et seule sur la berge avec le fleuve, un ballot de terreur
Sur le dos, sœur des humides pierres et des grands, grands arbres nus.
Épargne-moi cela. Car je serai affreusement absent, réveillé pour toujours
Dans l’un des deux Royaumes, je ne sais lequel, le ténébreux,
Je le crains, car il y a en moi quelque chose qui brûle d’un feu bas et jugé.
Et je te le dis bien, passereau de misère, tu seras seule dans cette vie atroce
Comme vers le petit jour avare et blême de la Seine
De tous abandonné, le signal rouge et vert.
Je ne sais plus qui a tué mon cœur ; mais n’a-t-il pas en mourant, le mauvais,
Légué toute sa royauté funèbre de compassion à mes os ? Enfant !