Page:Milosz - Poèmes, 1929.djvu/90

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Quarante ans.
Pour apprendre à aimer la noblesse de l’Action. Ô action !
Quarante ans, quarante ans la vanité des solitaires
M’a tourmenté. Je demandais sa mort dans mes prières.
Elle a quitté mon cœur. Ô triomphe ! — ô tristesse…
Elle a emmené ma jeunesse,
Ma cruelle jeunesse, la seule femme aimée.
Mais qu’importe ! déjà, mes mains, déjà la pierre vous attire.
Mains aux veines gonflées, la fureur de bâtir
Vous saisit, vous possède déjà !
Quand le midi des forts sonnera sur la mer
Nous irons saluer les constructeurs de môles.
Debout dans le soleil, en face de la mer
Ils mangent lentement leur pauvre et noble pain
Et leur sage regard va plus loin que le mien.
Honneur à toi, honneur à toi qui es né dans les pleurs
Comme l’Amen, et qui mourras dans l’abandon au pied du temple de l’amour
Ou du palais d’orgueil, ouvrages de tes mains !
Bientôt, demain, mon frère, je pourrai te parler
Face à face, sans rougir, comme parlent les hommes, car
Moi aussi, moi aussi je ferai la maison
Large, puissante et calme comme une femme assise
Dans un cercle d’enfants sous le pommier en fleur.
J’ouvrirai les fenêtres de la joyeuse église
Toutes grandes aux anges du soleil et du vent.
J’y bénirai le pain de l’Affirmation,
De ce oui éternel qui est une saveur
De feu, de blé et d’eau à la bouche des purs ;
Et quand la laideur dira : non !