Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tive de quitter la patrie pour une période indéfinie, mais longue incontestablement. Chacun de nous éprouvait les désagréables craintes de l’ennui et même des souffrances physiques, car nous détestons d’un commun accord les voyages sur mer, sans cependant aller jusqu’à admettre l’aveu que les agonies du mal de mer ont arraché à une des lumières de l’église américaine, au révérend Henry Ward Beecher, lorsqu’il s’est écrié : « Ceux que poursuit la colère divine sont envoyés à la mer. »

Nous eûmes, il est vrai, une très-rude traversée où, presque tout le temps, les vents furent contraires ; mais l’ennui ne nous tourmenta guère, parce que, dès que nous eûmes repris notre aplomb, ce qui ne fut pas long, nos compagnons de voyage, qui formaient une assez curieuse collection, nous divertirent suffisamment. Les plus remarquables d’entre eux étaient deux évêques catholiques romains du Canada. Ils revenaient de Rome où ils avaient assisté à la canonisation des martyrs japonais, et chacun d’eux étalait une belle médaille d’argent qu’il avait reçue de Sa Sainteté le Pape, en souvenir des éminents services qu’ils avaient rendus en cette occasion. Ces deux dignitaires formaient un contraste frappant, L’un, maigre et de grande taille, offrait le vivant portrait d’un ascète et donnait la meilleure partie du jour à la lecture de son missel et des livres saints. Il ne nourrissait qu’à peine son corps, ne prenant que de la soupe et du poisson, et ne se livrant à d’autre plaisir charnel que celui de priser du tabac qu’il prenait en quantité prodigieuse ; il ne se permettait d’autre société que celle de son confrère. Celui-ci, rond, gras, onctueux, de joyeuse nature et de caractère sociable, ne méprisait pas les bonnes choses de ce monde, et avait beaucoup d’affection pour une grosse pipe d’écume de mer, dont il tirait avec complaisance des nuages de fumée. L’antidote de ces deux personnages était une vieille dame, atteinte de papophobie, qui nous amusait fort par ses amères lamentations sur la coupable faiblesse qu’avait montrée Sa Majesté la Reine en accep-