Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/114

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remarqué que, tout en ayant l’air d’en prendre tout à fait à leur aise, ils nous dépassaient toujours, même quand nous nous figurions que nous marchions d’un pas fort recommandable. Nous eûmes alors l’explication de ce phénomène. Comme nous marchions sur la neige en file à l’indienne, la longueur de l’enjambée de La Ronde nous frappa. Cheadle surtout, qui s’enorgueillissait de ses capacités de marcheur, ne vit pas sans chagrin qu’il ne pouvait pas marcher dans les empreintes de La Ronde sans sauter de l’une à l’autre. Que devint-il quand il eut l’occasion de constater que sa plus large enjambée égalait juste celle du petit Miscouépémayou !

La supériorité des Indiens, à cet égard, nous semble avoir pour cause l’habitude de porter le mocassin. Cette chaussure laisse la liberté à l’élasticité du cou-de-pied[1] qui, chez nous, est gêné par la dureté de la semelle de nos bottes. Les muscles du pied d’un Indien sont si développés qu’ils lui donnent l’air dodu et potelé qu’a le pied d’un enfant. Ainsi Miscouépémayou se moquait toujours de la maigreur de nos bouts de pied et croyait qu’ils devaient avoir été mal faits dès l’origine.

La certitude infaillible avec laquelle notre guide suivait son chemin en droite ligne dans l’épaisseur de la forêt, où l’on ne trouvait aucun point de repère, dans des jours où le soleil ne se montrait pas, où l’on ne sentait aucun souffle d’air, avait quelque chose d’incompréhensible. La Ronde lui-même ne pouvait pas l’expliquer et la considérait comme une faculté tout à fait naturelle. Quant à Cheadle, il lui était parfaitement impossible de suivre une ligne droite et il commençait invariablement par décrire un cercle en inclinant continuellement vers la gauche. La Ronde, qui regardait ce défaut comme une preuve de stupidité, ne pouvait pas davantage se l’expliquer.

  1. C’est l’orthographe de l’Académie ; les Anglais disent coude du pied ; les Allemands disent l’un et l’autre. (Trad.)