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Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/312

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nous rendant à la rivière, nous y prîmes un bain délicieux. Nous jetâmes nos guenilles dans la Thompson et revêtîmes nos nouveaux habits. Alors nous pûmes, tout à notre aise, jouir de l’otium cum dignitate[1], et, en fumant nos bienheureuses pipes, nous enquérir des nouvelles, non pas du jour, mais de l’année écoulée. Depuis que nous étions hors du monde, il s’y était passé de grands événements. C’est alors que nous eûmes les premières nouvelles du mariage du prince de Galles, de l’insurrection polonaise, des probabilités de guerre entre le Danemark et la Prusse, et des progrès qu’avait faits la guerre civile d’Amérique. Ce plaisir que nous éprouvions à connaître ce qui s’était passé ne venait pourtant qu’au second rang. Quel est le comble du bonheur ? Nous le dirons après mûre réflexion, tout en sachant bien quel mépris cet aveu nous vaudra. Excellent philosophe, c’est la vérité ; chère madame, malgré vos lunettes et votre esprit fort, malgré vos bas d’azur, c’est la vérité : le comble du bonheur sur la terre, c’est de boire et de manger ! Allons ! soyez calmes, dévots aigris, ecclésiastiques sans charité, vous tous qui méprisez la chair et le corps ; soyez doux, vertueux magistrats, qui avez à juger des misérables dont la faim a fait le crime. Croyez à des gens qui en ont l’expérience. Dans notre grande ville de Londres, des milliers d’individus qui ont faim chaque jour seront de notre avis. Même quelques aldermen, un ou deux évêques bien nourris, nous soutiendront par principe. Ne nous parlez pas des plaisirs de l’esprit : la bouche et l’estomac, voilà les passages par lesquels s’introduit en nous le vrai bonheur. Côtelettes de mouton, pommes de terre, pain, beurre, lait, pudding au riz, thé et sucre ! qu’on mette ces délicatesses en comparaison avec la viande de cheval séchée, l’eau, les bêtes puantes ou l’absence complète de nourriture ! Cependant l’abondance des repas ordinaires du fort ne suffisait pas à nos

  1. Repos plein de dignité. (Trad.)