Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/107

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dant tu me semblas moins beau, d’une grâce moins attrayante, d’une douceur moins aimable que cette molle image des eaux. Je retourne sur mes pas, tu me suis et tu t’écries : — Reviens, belle Ève ! qui fuis-tu ? De celui que tu fuis tu es née ; tu es sa chair, ses os. Pour te donner l’être, je t’ai prêté, de mon propre côté, du plus près de mon cœur, la substance et la vie, afin que tu sois à jamais à mon côté, consolation inséparable et chérie. Partie de mon âme, je te cherche ! je réclame mon autre moitié. — De ta douce main tu saisis la mienne ; je cédai, et depuis ce moment j’ai vu combien la beauté est surpassée par une grâce mâle et par la sagesse, qui seule est vraiment belle. »

Ainsi parla notre commune mère, et avec des regards pleins d’un charme conjugal non repoussé, dans un tendre abandon elle s’appuie embrassant à demi notre premier père ; la moitié de son sein gonflé et nu caché sous l’or flottant de ses tresses éparses, vient rencontrer le sein de son époux. Lui, ravi de sa beauté et de ses charmes soumis, Adam sourit d’un amour supérieur, comme Jupiter sourit à Junon lorsqu’il féconde les nuages qui répandent les fleurs de mai : Adam presse d’un baiser pur les lèvres de la mère des hommes. Le Démon détourne la tête d’envie ; toutefois d’un œil méchant et jaloux il les regarde de côté et se plaint ainsi à lui-même :

« Vue odieuse, spectacle torturant ! Ainsi ces deux êtres emparadisés dans les bras l’un de l’autre, se formant un plus heureux Éden, posséderont leur pleine mesure de bonheur sur bonheur, tandis que moi je suis jeté dans l’enfer où ne sont ni joie, ni amour, mais où brûle un violent désir (de nos tourments, tourment qui n’est pas le moindre), désir qui n’étant jamais satisfait, se consume dans le supplice de la passion !

« Mais que je n’oublie pas ce que j’ai appris de leur propre bouche ; il paraît que tout ne leur appartient pas : un arbre fatal s’élève ici et appelé l’arbre de la science ; il leur est défendu d’y goûter. La science défendue ? cela est suspect, déraisonnable. Pourquoi leur maître leur envierait-il la science ? Est-ce un crime de connaître ? Est-ce la mort ? Existent-ils seule-