Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/11

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J’ai traduit comme mes devanciers : tempéré par toi. Richardson prétend que Milton fait ici allusion à ces voyageurs qui pour monter au haut du Ténériffe emportent des éponges mouillées, et se procurent de cette manière un air respirable ; voilà beaucoup d’autorités : cependant je crois que thy temp’ring veut dire simplement ta température. Thy est le pronom possessif, et non le pronom personnel thee. Temp’ring me semble un mot forgé par Milton, comme tant d’autres : la température de la muse, son air, son élément natal. Je suis persuadé que c’est là le sens simple et naturel de la phrase ; l’autre sens me paraît un sens subtil et détourné : toutefois, je n’ai pas osé le rejeter, parce qu’on a tort quand on a raison contre tout le monde.

Dans la description du cygne, le poète se sert d’une expression qui donne également ces deux sens : « Ses ailes lui servaient de manteau superbe, » ou bien : « Il formait sur l’eau une légère écume. » J’ai conservé le premier sens, adopté par la plupart des traducteurs, tout en regrettant l’autre.

Dans l’invocation du livre IX, la ponctuation qui m’a semblé la meilleure m’a fait adopter un sens nouveau : après ces mots : Heroic deemed, il y a un point et une virgule, de sorte que chief mastery me paraît devoir être pris, par exclamation, dans un sens ironique : en effet, la période qui suit est ironique. Le passage devient ainsi beaucoup plus clair que quand on unit chief mastery avec le membre de phrase qui le précède.

Vers la fin du dernier discours qu’Adam tient à Ève pour l’engager à ne pas aller seule au travail, il règne beaucoup d’obscurité ; mais je pense que cette obscurité est ici un grand art du poëte. Adam est troublé, un pressentiment l’avertit, il ne sait presque plus ce qu’il dit : il y a quelque chose qui fait frémir dans ces ténèbres étendues tout à coup sur les pensées du premier homme prêt à accorder la permission fatale qui doit le perdre lui et sa race.

J’avais songé à mettre à la fin de ma traduction un tableau des différents sens que l’on peut donner à tels ou tels vers du Paradis perdu, mais j’ai été arrêté par cette question que je n’ai cessé de me faire dans le cours de mon travail : Qu’importe tout cela aux lecteurs et aux auteurs d’aujourd’hui ? Qu’importe maintenant la conscience en toute chose ? Qui lira mes commentaires ? Qui s’en souciera ?

J’ai calqué le poëme de Milton à la vitre ; je n’ai pas craint de changer le régime des verbes lorsqu’en restant plus français j’aurais fait perdre à