Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/114

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qu’il permet à tous. Notre Créateur ordonne de multiplier : qui ordonne de s’abstenir, si ce n’est notre destructeur, l’ennemi de Dieu et de l’homme ?

Salut, amour conjugal, mystérieuse loi, véritable source de l’humaine postérité, seule propriété dans le paradis, où tous les autres biens étaient en commun ! Par toi l’ardeur adultère fut chassée des hommes et reléguée parmi le troupeau des bêtes ; par toi, fondées sur la raison loyale, juste et pure, les relations chéries et toutes les charités du père, du fils et du frère, furent connues pour la première fois. Loin de moi d’écrire que tu sois un péché ou une honte, ou de penser que tu ne conviennes pas au lieu le plus sacré, toi, source perpétuelle des douceurs domestiques, toi, dont le lit a été déclaré chaste et insouillé pour le présent et pour le passé, et dans lequel sont entrés les saints et les patriarches. Ici l’amour emploie ses flèches dorées, ici il allume son flambeau durable et agite ses ailes de pourpre ; ici il règne et se délecte. Il n’est point dans le sourire acheté des prostituées sans passion, sans joie, que rien ne rend chères ; il n’est point dans des jouissances passagères, ni parmi les favorites de cour, ni dans une danse mêlée, ni sous le masque lascif, ni dans le bal de minuit, ni dans la sérénade que chante un amant affamé, à sa fière beauté, qu’il ferait mieux de quitter avec dédain. Bercés par les rossignols, Adam et Ève dormaient en se tenant embrassés ; sur leurs membres nus le dôme fleuri faisait pleuvoir des roses, dont le matin réparait la perte. Dors, couple béni ! Oh ! toujours plus heureux si tu ne cherches pas un plus heureux état, et si tu sais ne pas savoir davantage !

Déjà la nuit de son cône ténébreux avait mesuré la moitié de sa course vers le plus haut de cette vaste voûte sublunaire ; et les chérubins, sortant de leurs portes d’ivoire à l’heure accoutumée, étaient armés pour leurs nocturnes dans une tenue de guerre ; lorsque Gabriel dit à celui qui approchait le plus de son pouvoir :

« Uzziel, prends la moitié de ces guerriers, et côtoie le midi