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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/115

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avec la plus stricte surveillance ; l’autre moitié tournera au nord : notre ronde se rencontrera à l’ouest. »

Ils se divisent comme la flamme, la moitié tournant sur le bouclier, l’autre sur la lance. Gabriel appelle deux esprits adroits et forts qui se tenaient près de lui, et il leur donne cet ordre :

« Ithuriel et Zéphon, de toute la vitesse de vos ailes, parcourez ce jardin ; ne laissez aucun coin sans l’avoir visité, mais surtout l’endroit où habitent ces deux belles créatures qui dorment peut-être à présent, se croyant à l’abri du mal. Ce soir, vers le déclin du soleil, quelqu’un est arrivé ; il dit d’un infernal esprit lequel a été vu dirigeant sa marche vers ce lieu (qui l’aurait pu penser ?), échappé des barrières de l’enfer et à mauvais dessein sans doute : en quelque endroit que vous le rencontriez, saisissez-le et amenez-le ici. »

En parlant de la sorte il marchait à la tête de ses files radieuses qui éclipsaient la lune. Ithuriel et Zéphon vont droit au berceau, à la découverte de celui qu’ils cherchaient. Là ils le trouvèrent tapi comme un crapaud, tout près de l’oreille d’Ève, essayant par son art diabolique d’atteindre les organes de son imagination et de forger avec eux des illusions à son gré, de fantômes et songes ; ou bien en soufflant son venin, il tâchait d’infecter les esprits vitaux qui s’élèvent du pur sang, comme de douces haleines s’élèvent d’une rivière pure : de là du moins pourraient naître ces pensées déréglées et mécontentes, ces vaines espérances, ces projets vains, ces désirs désordonnés, enflés d’opinions hautaines qui engendrent l’orgueil.

Tandis qu’il était ainsi appliqué, Ithuriel le touche légèrement de sa lance, car aucune imposture ne peut endurer le contact d’une trempe céleste, et elle retourne de force à sa forme naturelle. Découvert et surpris, Satan tressaille : comme quand une étincelle tombe sur un amas de poudre nitreuse préparée pour le tonneau, afin d’approvisionner un magasin sur un bruit de guerre ; le grain noir dispersé par une soudaine explosion, embrase l’air : de même éclata dans sa propre forme, l’ennemi. Les deux beaux anges reculèrent d’un pas à demi