Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/193

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Adam, éclairci sur ses doutes, lui répliqua :

« Combien pleinement tu m’as satisfait, pure intelligence du ciel, ange serein ! et combien, délivré de sollicitudes, tu m’as enseigné, pour vivre le chemin le plus aisé ! tu m’as appris à ne point interrompre avec des imaginations perplexes la douceur d’une vie dont Dieu a ordonné à tous soucis pénibles d’habiter loin, et de ne pas nous troubler, à moins que nous ne les cherchions nous-mêmes, par des pensées errantes et des notions vaines. Mais l’esprit, ou l’imagination, est apte à s’égarer sans retenue ; il n’est point de fin à ses erreurs, jusqu’à ce que avertie, ou enseignée par l’expérience, elle apprenne que la première sagesse n’est pas de connaître amplement les matières obscures, subtiles et d’un usage éloigné, mais ce qui est devant nous dans la vie journalière ; le reste est fumée, ou vanité, ou folle extravagance, et nous rend, dans les choses qui nous concernent le plus, sans expérience, sans habitude, et cherchant toujours. Ainsi descendons de cette hauteur, abaissons notre vol et parlons des choses utiles près de nous, d’où, par hasard, peut naître l’occasion de te demander quelque chose non hors de raison, m’accordant ta complaisance et ta faveur accoutumée.

« Je t’ai entendu raconter ce qui a été fait avant mon souvenir ; à présent écoute-moi raconter mon histoire, que tu ignores peut-être. Le jour n’est pas encore dépensé ; jusqu’ici tu vois de quoi je m’avise subtilement pour te retenir, t’invitant à entendre mon récit ; folie ! si ce n’était dans l’espoir de ta réponse : car tandis que je suis assis avec toi, je me crois dans le ciel, ton discours est plus flatteur à mon oreille que les fruits les plus agréables du palmier ne le sont à la faim et à la soif, après le travail, à l’heure du doux repas : ils rassasient et bientôt lassent, quoique agréables : mais tes paroles, imbues d’une grâce divine, n’apportent à leur douceur aucune satiété. »

Raphaël répliqua, célestement doux :

« Tes lèvres ne sont pas sans grâce, père des hommes, ni ta langue sans éloquence, car Dieu avec abondance a aussi ré-