Page:Mirabeau - Hic et Hec, 1968.djvu/104

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— Je ne la connais point, dit l’évêque.

— Oh ! que si, monseigneur, elle a la pratique de presque tout votre chapitre, c’est la grosse marchande de plaisir !

— Elle vend du croquet ?

— Non, mais c’est la plus adroite pourvoyeuse du Comtat ; peu de femmes ont une famille aussi étendue, elle a toujours deux ou trois nièces qui l’accompagnent aux promenades, au spectacle, et quand elles sont un peu trop connues, elles se retirent vers Orange ou Carpentras, où elles portent l’instruction qu’elles ont reçue chez Sara, qui les remplace par de nouvelles parentes, qui lui viennent des villages d’alentour, et qu’elle forme avec le même soin.

— Oh ! oui, je me rappelle, dit l’évêque, elle est grosse, courte, elle a le front étroit, l’œil en dessous, le crin roux et le nez un peu bourgeonné.

— Précisément, et sûrement vous avez été plus d’une fois son neveu.

— Je n’en disconviens pas ; que lui est-il donc arrivé ?

— Hier, se promenant sur le rempart avec Justine, la nièce du moment, un négociant de Bâle est venu l’accoster : on a lié conversation, elle a d’abord été galante, puis elle s’est animée et le bon Bâlois a proposé de lui donner à souper. Sara, toujours prête quand il s’agit d’un repas, s’accorde à tout, et l’on convient que le négociant partagerait ensuite le lit de Justine en déposant dix louis sur la table de nuit, dont il aurait droit d’en reprendre un à chaque politesse qu’il ferait à la gentille nièce. Sara, qui n’avait