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LE RIDEAU LEVÉ


sous des traits ressemblants, les retracer ici.

Tout ce que j’ai fait et pensé dès ma plus tendre enfance, tout ce que j’ai vu et ressenti, va reparaître sous tes yeux. Je ferai renaître dans toi ces sensations vives, ces mouvements précieux, dont l’ivresse a tant de charmes. Mes expressions seront vraies, naturelles et hardies ; j’oserai même dessiner de ma main des figures dignes de sujet et de tes désirs enflammés ; je ne crains pas de manquer d’énergie. Eugénie, c’est toi qui m’inspires et qui m’échauffes. Tu es ma Vénus et mon Apollon ; mais, garde-toi, chère amie, que ma confidence échappe de tes mains ; souviens-toi que tu es dans le sanctuaire de l’imbécilité ou de la dissimulation : celles même des religieuses qui sont dans la bonne foi, ont un zèle mille fois moins à craindre que celles qui goûtent, sous un voile hypocrite, la volupté la plus exquise et la plus raffinée. Tu ne serais que criminelle aux yeux des unes, et les autres crieraient hautement à l’infamie.

Le bonheur des femmes aime partout l’ombre et le mystère, mais la crainte et la décence donnent du prix à leurs plaisirs. Cet ouvrage-ci ne doit jamais voir le jour : il n’est point fait pour les yeux du vulgaire ; il serait indigne de la franchise d’une femme, et son impertinente crédulité lui donne de l’horreur pour la nudité des productions de la nature.

Tu ne le croirais pas, ma chère Eugénie,