Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/53

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— Ai-je jamais dit le contraire… puisque je pense que la justice est même au-dessus des juges !…

Le silence se fit aussitôt sur cette phrase, prononcée d’une voix triste et profonde. Ce fut l’Illustre Écrivain qui le rompit, le premier :

— Enfin, ces deux impressions… dites-les-nous, poète !

Et il mit, dans ce mot : poète, tout le mépris qu’un psychologue peut avoir contre un imaginatif et un sensible.

— Voici !… accepta le poète… Et, pourtant, je me rends bien compte que vous allez rire de moi… mais ma conscience est au-dessus de vos rires…

— Comme la justice est au-dessus des juges, n’est-ce pas ?

— Si vous voulez !…

Simplement, le poète conta :

— Quelques jours après la dégradation de celui que vous appelez le traître Dreyfus, je passais la soirée dans une maison où se trouvait un personnage qui avait joué un rôle considérable dans cette affaire. C’était, vous le pensez bien, le héros de cette soirée… On l’entourait beaucoup… Lui, parlait avec complaisance, et se grisait peu à peu de son succès… À ce moment-là, j’étais, comme tout le monde, absolument convaincu de la culpabilité du capitaine Dreyfus… Eh bien, à mesure que le personnage parlait, cette conviction, peu à peu, s’ébranlait. Un doute possible naissait, grandissait dans mon