Page:Mirbeau - Dans la luzerne, paru dans l’Écho de Paris, 29 septembre 1891.djvu/5

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Le propriétaire

Cela se peut… Faites attention, monsieur… Il y a deux ans… (Au domestique.) Est-ce deux ans ?

Le domestique

Oui, monsieur.

Le propriétaire

Il y a deux ans, dans ma luzerne, en une demi-heure, j’ai tué cinq râles… Cinq râles magnifiques !… Je ne sais pas pourquoi… Quand il y a un râle dans le pays, on est sûr de le trouver dans ma luzerne… Oui, c’est un râle… Avancez, monsieur… Je voudrais que vous Le tiriez… Sagement, là-dedans !… (À l’invité). On m’a offert trois cents francs de ma chienne… Allons, doucement donc !… Je n’ai pas voulu la donner… C’est comme ma luzerne — attention, monsieur !… Le comte de Restout voulait me l’acheter des prix fous… (Haussant les épaules). Il n’y a pas de danger… (Ils avancent dans la luzerne, marchant avec prudence, les jambes hautes, le fusil prêt à l’épaulement, suivant d’un regard ému Diane qui, tour à tour, rampe et bondit, et fauche de sa queue les tiges qui font, en s’abattant, de petits sillons dans la nappe drue des herbes). N’ayez pas peur de le tuer… Ne vous gênez pas, je vous prie… Vous savez que