Page:Mirbeau - Dans la luzerne, paru dans l’Écho de Paris, 29 septembre 1891.djvu/7

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Le propriétaire

Ah ! il est joli, leur progrès ! Ils peuvent s’en vanter !… Autrefois, l’on tuait facilement, dans la journée d’ouverture, cinquante, soixante, quatre-vingts pièces de gibier… Allez donc voir aujourd’hui… Autrefois, monsieur, dans ma luzerne, il y avait des outardes… Moi qui vous parle, j’en ai tué !… Allez donc voir aujourd’hui !… Et ils appellent ça du progrès ?

L’invité

C’est comme le braconnage !… On ne le réprime pas !

Le propriétaire

On ne le réprime pas… C’est-à-dire qu’on l’encourage… Ainsi, dans ma commune, aujourd’hui, il y a quarante permis de chasse !… C’est dégoûtant !… C’est monstrueux !…

L’invité

C’est scandaleux !…

Le propriétaire

On délivre des permis de chasse à tout le monde, à des gens qui n’ont même pas deux mètres de terre au soleil, à des pauvres… Oui, à des pauvres !…Alors qu’arrive-t-il ?… Il arrive qu’il n’y a plus rien !… Autrefois, monsieur, il n’y avait dans la commune, que mon père et moi qui avions le droit de chasser… Maintenant, ils sont quarante !… Le grand mal du siècle, je vais vous le dire… Les pauvres n’ont plus le sentiment de la propriété !…