Page:Mirbeau - Dans la luzerne, paru dans l’Écho de Paris, 29 septembre 1891.djvu/8

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L’invité

C’est vrai !… Mais qu’est-ce que vous voulez ?… Nous vivons dans une bien sale époque !

Le propriétaire

Je l’ai toujours dit !… On ne peut espérer revenir à un état normal, que si le gouvernement n’accorde des permis de chasse qu’aux propriétaires pouvant justifier d’au moins cinq mille francs de rente, en terres… Voilà la vérité, voilà la justice, voilà la moralité.

(À ce moment, au bout de la pièce de luzerne, des perdreaux s’envolent dans un grand bruit d’ailes.)

L’invité

Ah ! sapristi !

Le propriétaire (amer)

Eh bien, mon cher monsieur, c’est comme ça, maintenant !… Voilà à quelle distance, aujourd’hui, les perdreaux partent !… On ne peut plus les approcher !… Et vous trouvez que c’est amusant de vivre dans une pareille époque !… Une époque qui n’a plus de religion, plus de respect de la propriété, une époque qui nargue l’autorité, et où les perdreaux eux-mêmes se moquent de vous !… Car enfin, autrefois, les perdreaux vous partaient dans les jambes…

L’invité

C’est le progrès !

Le propriétaire

Ah ! nous sommes tombés bien bas !…

(Ils s’éloignent, en faisant de grands gestes de protestation).


OCTAVE MIRBEAU.