Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/13

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Cette image du pauvre diable, déroulant sur la pente raide, et se fracassant le crâne et se rompant les membres, sur les rochers, en bas, ne me fit pas horreur.

— Cela eût mieux valu pour lui… pensai-je le plus naturellement du monde. Il n’a sans doute personne qui s’intéresse à lui… Ce n’est pas les mariniers de la terre, ni les taupes du ciel qui eussent réclamé… Quand on est tombé à cet état de folie et de dégradation, mieux vaut mourir… Que va-t-il devenir ?… On le trouvera, un beau matin, mangé par les araignées et les rats !… Non, vraiment, je lui aurais rendu là un fameux service…

Je me complus, quelque temps, dans cette idée, où je trouvais comme un soulagement, à ma colère, à mes déceptions. Et je généralisai :

— C’est étonnant qu’il n’y ait pas plus de gens inutiles et embêtants, qui disparaissent de cette façon-là ! La vie nous offre, à chaque instant, tant de facilités !…

Puis ma songerie s’égara à travers mille formes confuses, mille souvenirs tronqués, mille paysages indécis, effacés comme des tapisseries… Je revis la bonne figure de mon ami, sa bonne figure toujours prête au sourire ; son œil de chien dévoué, son dos, ah ! son dos qu’une fatalité précoce semblait avoir courbé, tout jeune, sous le poids d’inévitable malheurs, ses gestes gauches de malchanceux, — et une pitié me reprit à nouveau pour ce pauvre être, marqué, dès sa jeunesse, du terrible signe des destinées douloureuses.

— Après tout ! dis-je… Pauvre diable !

Je me rappelai à ce moment même que