Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/25

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La pluie détendait la peau de mon tambour, qui, sous le roulement accéléré des baguettes, ne rendait que des sons étouffés sourds, lugubres…

Je ne vis pas l’évêque, je ne vis pas le reliquaire. Je ne vis rien, rien qu’une grande chose vague, où d’étranges figures s’agitaient, passaient et disparaissaient sans cesse. Je n’entendis rien, rien qu’un bourdonnement confus de voix lointaines, de voix souterraines. Je ne voyais et je n’entendais que M. Martinot, le crâne rouge de M. Martinot, conduisant l’orchestre, poussant les druides enchaînés, dirigeant les chœurs de jeunes filles qui chantaient :

Au temps jadis, d’horribles dieux…

Et je battais du tambour, machinalement d’abord, puis avec rage, avec frénésie, emporté dans une sorte de folie nerveuse, dans un vertige où ma conscience s’anéantissait.

Cela dura longtemps, cela dura un siècle, à travers des routes, des chapelles, parmi des fantômes…

Le soir, le curé offrait un grand dîner. Je fus présenté à l’évêque.

— C’est le petit garçon qui a joué si bien du tambour, Monseigneur ! dit le curé, en me donnant une tape amicale sur la joue.

— Ah ! vraiment ! fit l’évêque… Mais il est tout petit !

Et lui aussi me donna une tape sur la joue.

Le grand vicaire fit comme l’évêque ; et tous les convives qui étaient plus de vingt, firent comme le grand vicaire…

— Vois-tu ! me dit mon père, au comble de la joie… M’écouteras-tu, une autre fois ?…

Comme je ne répondais pas, mon père ajouta d’une voix sévère :

— Tiens ! tu ne mérites pas ce qui t’arrive !…

Le lendemain matin je fus pris de la fièvre… Une méningite me tint, longtemps, entre la vie et la mort, dans le plus affreux délire. Je n’en mourus pas, hélas !

Telle fut mon entrée dans la vie…