Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/28

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Une nuit que je ne dormais pas, j’ouvris la fenêtre de ma chambre, et m’accoudant sur la barre d’appui, je regardai le ciel, au-dessus du jardin noyé d’ombre. Le ciel était couleur de violette, des millions d’étoiles brillaient. Pour la première fois, j’eus conscience de cette formidable immensité, que j’essayais de sonder, avec de pauvres regards d’enfant, et j’en fus tout écrasé. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraya » ; j’eus la terreur de ces étoiles si muettes, dont le pâle clignotement recule encore, sans l’éclairer jamais, le mystère affolant de l’incommensurable. Qu’étais-je moi, si petit, parmi ces mondes ? De qui donc étais-je né ? Et pourquoi ? Où donc allais-je, vil fétu, perdu dans ce tourbillon des impénétrables harmonies ? Quelle était ma signification ? Et qu’étaient mon père, ma mère, mes sœurs, nos voisins, nos amis, tous ces atomes emportés par on ne sait quoi, vers on ne sait où… soulevés et poussés dans l’espace, ainsi que des grains de poussière sous le souffle d’un fort et invisible balai ?… Je n’avais pas lu Pascal — je n’avais rien lu encore — et quand, plus tard, cette page que je cite de mémoire, me tomba sous les yeux, je tressaillis de joie et de douleur, de voir imprimés si nettement, si complètement, les sentiments qui m’avaient agité, cette nuit-là…

« Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme : et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi le peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce