Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/35

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— Mais c’est toi qui as eu l’idée de cette maison ; c’est toi qui te trouvais trop petitement ici…

— Allons ! voilà que c’est moi, maintenant !… Je suis fâchée de te le dire… Mais tu n’as pas de conduite, tu n’as pas de dignité !…

Les scènes se renouvelèrent souvent.

Il fut décidé qu’on n’allumerait plus de lampe, le soir, dans le couloir, qu’on supprimerait un plat, aux repas, qu’on remplacerait le feu de bois par le feu de coke, qu’on ne garderait rien, rien, de ce qui avait été notre pauvre petit luxe, notre humble bien-être.

Et nous entrâmes, un beau matin, dans la grande maison presque vide. Les enchères publiques avaient éparpillé aux quatre coins du pays nos meubles, nos habitudes, nos menues joies quotidiennes. Il ne restait que, çà et là, une armoire, une chaise, une table, un lit. Et c’était si triste, cette maison, ces immenses pièces froides et revêches, ces fenêtres nues, par où s’apercevaient la détresse des pelouses, l’abandon des allées, que je me mis à pleurer je ne sais trop pourquoi, d’ailleurs, car je n’attachais pas un prix si précieux à ces choses disparues, qui n’avaient jamais contenu, pour moi, une parcelle de bonheur.

Et quoique je pleurasse, dans un coin de la pièce où nous étions réunis et silencieux, je ne pouvais m’empêcher de goûter, avec ces pleurs, une joie amère, la joie d’assister à la déconvenue de mes sœurs, dans les yeux desquelles je voyais la déroute des espoirs, la fuite des maris, la peur des éternelles virginités.