Page:Mirbeau - Des artistes, deuxième série, peintres et sculpteurs 1897-1912, musiciens 1884-1902, 1924.djvu/249

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pelait Venise, une ville avec des maisons réelles et diverses, maisons borgnes qui guettent, maisons honorables et plates, maisons riches où l’or, derrière les façades, circule comme le sang sous la peau. Mais Venise n’est plus qu’une carte postale en couleurs. Quant aux hommes et quant aux femmes, ils ont été noyés dans la lagune. Il ne reste plus que des gondoliers, des grandes dames et quelques lévriers. Walt Whitman, qui prenait plaisir et profit à causer avec les cochers d’omnibus de New-York, n’aurait pu vivre à Venise ; car tous les gondoliers y sont des poètes. Et les grandes dames, dans leurs palais ont des compagnons si nobles, si dépouillés de toute forme naturelle, définis par des attributs si purement littéraires qu’on ne sait plus, dans la meute qui fait cortège, distinguer M. d’Annunzio d’avec les lévriers héraldiques.

La nature donne une atmosphère à toutes les villes et les hommes compliquent l’atmosphère de la nature et la souillent avec magnificence de poussières et de fumées. Les travaux et les mouvements des hommes collaborent à l’atmosphère des villes. Mais à Venise, on ne se meut pas : on s’accoude aux balustres. On ne travaille pas : car les cristaux et les dentelles de Venise sont fabriqués dans les expositions universelles.

Venise pourrait espérer la gloire triste d’être une ville morte. L’Europe en a fait une ville nuptiale, où la bourgeoisie se conjugue.