Page:Mirbeau - Des artistes, deuxième série, peintres et sculpteurs 1897-1912, musiciens 1884-1902, 1924.djvu/251

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toile. On dirait que la main s’abandonne à suivre la lumière. Elle renonce à l’effort de la capter. Elle glisse sur la toile, comme la lumière a glissé sur les choses. Le mouvement minutieux qui, pièce à pièce, bâtissait l’atmosphère cède au mouvement plus souple qui l’imite et lui obéit. Claude Monet ne saisit plus la lumière avec la joie de conquête de celui qui, ayant atteint sa proie, se crispe à la retenir. Il la traduit comme la plus intelligente danseuse traduit un sentiment. Des mouvements se combinent et nous ne savons pas comment ils se décomposent. Ils sont si bien liés les uns aux autres qu’ils semblent n’être qu’un seul mouvement et que la danse est parfaite et close comme un cercle.

La lumière ordonne et révèle les objets. Elle est, sur les canaux, plus solides et plus massive. Les reflets s’agglomèrent. On dirait que l’eau et la lumière s’appuient et se raffermissent aux façades. Mais, sur l’Adriatique, elle est plus fluide et plus flottante. Une barque, des palis, l’église naissent et apparaissent, selon que la lumière les y autorise. La réflexion des palais est chaude dans l’eau dense. Aux heures pleines, l’atmosphère s’applique et s’étoffe somptueusement à la surface verticale des murs, à la surface horizontale de l’eau ; elle est mêlée à la couleur comme si elle traversait la rosace d’un vitrail. Et c’est la fraîcheur humide et véritable de l’arc-en-ciel.

C’est l’admirable succession des heures qui crée le