Page:Mirbeau - Des artistes, deuxième série, peintres et sculpteurs 1897-1912, musiciens 1884-1902, 1924.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

monde et ne lui permet jamais d’être semblable à lui-même. Le plus humble touriste sait que le lever du soleil est un spectacle. Il contemple à l’horizon la bordure verdâtre de l’aube encore cadavérique, puis cette orbite sanglante et basse, puis le tremblement du jour naissant. Il ne sait pas que chaque minute est aussi riche et variable. Mais Claude Monet est maître de la lumière insaisissable. Ainsi Hokousaï disait, presque centenaire : « c’est bien ennuyeux de mourir, parce que je commençais enfin à comprendre la forme ». Et c’est aussi une forme, rajeunie, à l’état naissant que Claude Monet découvre sous les variations mêmes de l’atmosphère. Les objets immuables, que l’usage catalogue, naissent devant ses yeux, comme s’il était le premier homme, comme si, à travers les variations de leurs éclairages, il n’avait pas encore appris à les reconnaître pour identiques.

La bêtise des littérateurs et des peintres avait arraché Venise à la nature. Claude Monet est allé à Venise et l’a restituée à la nature.

Seuls les professionnels de la tradition ne sont pas émus par ceux qui les précèdent : car ils exécutent une consigne. Claude Monet se souvient avec gratitude de quelques fleurs peintes par Courbet sur un fond noir. Il médita aussi les estampes japonaises. C’est pourquoi il ne fit pas de japonisme. C’est dans la nature même qu’il voulut trouver l’éclat de fleurs de Courbet, sans qu’il fut besoin d’un fond noir ; c’est dans la nature qu’il chercha