Page:Mirbeau - Fructidor, paru dans l’Écho de Paris, 15 septembre 1891.djvu/7

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Assez perdue ! (Brusquement)… Ah ! je me souviens maintenant… C’était Mantes… Oui, nous allions à Mantes conduire les bœufs… Je suis tombé en route, (Morne de nouveau)… Assez perdue ! je n’ai pas la tête assez perdue !

le jeune homme

Qu’allez-vous faire ?

le pauvre

Je vais retourner à Rouen… J’irai encore à l’hôpital… Et si l’on ne veut pas de moi… eh bien j’aime mieux mourir. (Avec force)… J’aime mieux mourir… Ça ne peut pas durer comme ça !…

le jeune homme

Reposez-vous encore. Dormez un peu, mon ami. Cela vous fera du bien… Vous ne pouvez vous remettre en route, maintenant… Et puis après vous partirez…

(Il conduit le pauvre dans une chambre, l’aide à se déshabiller, lui donne du linge et des habits propres… Puis il se retire, et revient dans la salle, troublé par des pensées tristes).

le jeune homme (seul)

Pourquoi ai-je une maison, moi, quand il y a d’aussi affreuses misères, d’aussi douloureux vagabonds ? Pourquoi ai-je une table grassement servie, de belles fleurs dans mon jardin, de la joie, du bonheur que je gaspille, quand, tous les jours, à ma porte, passent de tels crimes sociaux, de telles souffrances humaines ?