Page:Mirbeau - Fructidor, paru dans l’Écho de Paris, 15 septembre 1891.djvu/8

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Qu’ai-je donc fait pour cela ?… Et tout à l’heure, je vais le laisser partir, ce misérable, je vais le laisser partir à la mort… Et je n’aurai pas le courage, en l’étreignant sur ma poitrine, de lui dire : « Reste ici ; la moitié de ce que j’ai t’appartient, tu es mon frère… » Oh ! lâche !… lâche !… lâche… Et lui, au lieu de me haïr, comme ce serait juste, voilà qu’il va m’aimer maintenant ! Non seulement je lui vole son pain, non seulement je lui vole sa part de bonheur, mais je lui vole encore son affection ! Et quand il va partir, tout à l’heure, au lieu de me sauter à la gorge, et de m’étouffer, il me baisera la main, comme un bon chien reconnaissant et fidèle… Ô les pauvres éternels agneaux, quand donc apprendrez-vous à haïr, même ceux qui vous donnent ?


Il va s’accouder à la fenêtre ouverte.

La nature est en joie ; la terre est heureuse.

Dans les champs, sous le soleil, partout, la vie revenue de son exil éclate et sourit. Les arbres s’illuminent de fruits rouges, et les gerbes de blé prometteuses de pain, partout, se pavanent, dansent, étalent sur le sol réchauffé leurs bouffantes jupes d’or, ou le grain de vie s’égrène parmi la paille et sonne gaiement, comme de l’espoir, dans les champs, sous le soleil.


OCTAVE MIRBEAU.